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P., habitant du bois, la deuxième rencontre

P., habitant du bois, deuxième rencontre (septembre 2015)

« Je suis arrivé ici en mars 2013, deux semaines avant les grandes neiges d’avril. Il y a eu 20 centimètres de neige partout dans les sous-bois. Le périphérique a été arrêté. J’ai entendu le vrai silence. Ils devraient arrêter le périphérique plus souvent. Même les nuits des week-ends où le trafic auto est coupé sur la route d’à-côté, j’entends ce bruit sourd en continu. J’entends ce bruit comme une souffrance. Une souffrance continuelle, qui ne s’arrête jamais.

La plupart des feuilles sont comestibles. Je les essaye toutes. En tisane, ou en décoction. En décoction elles sont un peu répugnantes d’aspect. Ces feuilles de chêne séchées sont bonnes. Elles parfument le feu aussi.

À Miya, ma petite fille de 3 ans, intriguée. Les taupes. Elles adorent les glands, brisent leur enveloppe je me demande comment. Elles adorent venir faire des galeries ici, et aussi de ce côté où c’est mou, où l’eau s’écoule de la tenture. Il y a beaucoup de taupinières, les petits volcans de terre fraîche. Sonde avec ton doigt et tu trouves l’entrée des galeries.

Les mulots j’en ai attrapé trois en deux jours, la semaine dernière, aucun. Pour aller sous terre ils utilisent le réseau des taupes.

Je n’ai jamais remarqué de conflit entre ces espèces.

Les mésanges. Elles se promènent jusque sur le seuil, les mies de pain. Je préfère les rouges-gorges.

Avec septembre, des journées entières de pluie. Je me demandais comment il les supporte. Je ne suis pas sorti de la journée, c’est tout. 

Si on prend comme repère du début de l’automne la chute des feuilles, l’automne a commencé juste après la canicule de la mi-juillet. Tous ces petits arbres aux troncs minces en sont morts. Ils étaient déjà un peu fragiles, maintenant c’est fini. Des dizaines en deux semaines de canicule.

J’ai attrapé une grippe. J’étais là, en train de cueillir quelque chose, penché vers le sol. Ça a été comme un vent avec une lame qui m’a traversé. Je l’ai senti immédiatement. Une invasion virale. Je me demande si ces virus se renforcent ou si c’est moi qui m’affaiblit.

J’ai repensé à ce musicien qui travaillait sur les chants d’oiseaux, Olivier Messiaen. C’est quoi, ce nom, flamand ? Il voyait des couleurs en entendant les accords… Et alors ? Lui il avait cette sensibilité, et d’autres, qui n’ont aucune imagination, lui contestent ça. Toujours cette loi du contrôle par la majorité.

Un couple passe. Ils regardent dans notre direction, nous leur disons bonjour, ils continuent à regarder dans notre direction sans répondre.

La plupart ne disent pas bonjour. C’est un ghetto. Un ghetto social. Je viendrai peut-être au théâtre de l’Aquarium au concert. Je connais. C’est le premier théâtre à droite en entrant. Je suis allé aussi au théâtre du Soleil il y a quelques années. Une pièce afghane. C’était bien. Je suis allé au concert très souvent à certaines époques. Et là, depuis un moment, j’ai arrêté. Ce sont des périodes. Des cycles, plutôt ; des cycles. »

Des cycles, ce mot résonnait pendant que nous nous éloignions avec Miya. Nous allions vers les bouches de métro, à la brasserie Terminus Château manger une glace et rencontrer la compositrice Caroline Marçot que j’aime tant, un cycle d’amitié qui ne s’est pas refermé.