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Quels mots pour vous désigner ? Polémique 2

Quels mots pour vous désigner ? Polémique 2

Je veux découdre le corset des mots qui vous désignent. Qui vous revendiquent, vous assignent à votre place dans le dispositif de revendications militantes tissées des meilleures intentions.

Ma reprise de contact eut lieu à Marseille. Un demi-hasard me fit revoir une amie d’autrefois qui m’avait fait découvrir, je crois, l’écrivain chilien Pedro Lemebel. Ne serait-ce que pour cela, je lui suis reconnaissant. Elle me présenta à un collègue dont je ne voudrais pas trahir ici l’affirmation identitaire (« transgenre… des fois travesti… » il me semble), à qui je parlai de mon projet de drag requiem au bois de Vincennes. A quoi « je ne travaille pas avec des hétéros » fut sa réponse. Et même « si c’est pour travailler avec des hétéros, moi c’est non tout de suite, je te le dis. » Je veux bien le respecter dans cet énoncé. A ceci près, d’autre part : je ne suis pas un hétéro, et mon projet n’a rien à voir avec un travail avec des hétéros. Je ne parle pas des faits qui permettraient éventuellement de remplir une case « identité sexuelle » comme on le fait pour la « nationalité » sur les papiers administratifs. Mais de l’ennui de ce que de tels mots, censés définir pragmatiquement des frontières conceptuelles, débordent, noient le réel qu’ils instituent. Trahissent le pragmatisme dont ils prétendent être issus.

Pedro Lemebel, justement. Son Manifesto / Hablo por mi diferencia des années 70 devenu iconique, est pour moi un refus de certains mots et une danse avec des mots irrespirables, ceux des assignations péjoratives et militantes mêlées. La traduction en français de son roman Tengo miedo, torero, met parfois mal à l’aise à cause du vocabulaire homosexualisé, injurieux, qui ne se retourne pas si aisément en jeu… si l’on écarte la source merveilleuse des néologismes que Lemebel fit jaillir de sa plume. Comment (à moins de démonstration rhétorique ponctuelle) aurait-il pu se contenter de « pédé », « tantouse », et autres « pédales » ? Marifolle, papillonne, colibri, folle, autant de mots et d’autres qu’il a créés et recréés, en écrivain de lui-même. Retrempés dans sa fantaisie, ouvrant l’imagination érotique virevoltante et tendre qui nous libère en se délivrant.

Je veux découdre le corset des mots qui vous désignent. Mais pour autant je ne vous hystériserai pas, ne ferai pas de vous un point de fuite inexprimable de la sexualité, ne ferai de vous un objet de poétisation, ni un symbole de dieu sait quoi.

 

A suivre