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le soliloque du bois

Le soir de mon Au-revoir au bois, le 19 décembre 2015, j'ai lu ce texte que j'avais écrit, accompagnée par Jean-Christophe Marti qui a improvisé une musique avec les feuilles mortes ramassées dans le bois pendant l'automne.

 

Il n’est plus venu le temps où on s’amuse innocemment dans les bois sans penser à rien le cycliste qui arrive la jeune prostituée noire du 112 arrêt plaine de la faluère je ne pense plus à rien j’ai pris des habitudes au bois la vitesse à laquelle on prend des habitudes les personnes rencontrées au bois passé du temps ensemble des ponts entre les mondes la ruche qui sera installée peut-être peut-être à l’Aquarium au dessus du jardin de Tonio Dominique Tonio Eric du théâtre Michel forestier du bois Lorraine Cédric apiculteurs ensemble ici tous les jours dans le même bois loin les uns des autres pas les mêmes trajets pas les mêmes locaux pas les mêmes bureaux pas les mêmes ateliers pas les mêmes horaires chacun son parcours en ville ça paraît normal pourquoi pas dans le bois même dans le bois difficile de ne pas reprendre les même chemins perdre du temps ? sa route ? son but ? si on en a pas ça change quoi être au bois dans le studio dans le théâtre dans la cartoucherie dans le bois dans la ville, protégée par les enceintes successives protégée rester dans le cocon attendre la métamorphose ne plus sortir les sons de la ville au loin assourdis les lumières de la ville au loin atténuées l’agitation de la ville au loin filtrée rester dans le cocon attendre la métamorphose route de la porte jaune avenue de la dame blanche le garçon qui tient le bar au pavillon Armand, son petit chien avec sa couverture et son grelot il trottinait je ne me souviens plus de son nom les deux vieux à la table d’à côté : « encore une après-midi à tuer » j’ai voulu passer la minute de silence avec du monde je suis allée à l’INSEP, les gens de l’administration les entraineurs les médecins, les chercheurs, les champions tous réunis dehors devant le bâtiment principal, le bâtiment M

les gens de l’administration les entraineurs les médecins, les chercheurs, les champions tous en demi-cercle sur la pelouse devant le bâtiment M rassemblés regroupés serrés j’ai retrouvé Patrick qui me rappelle Jacques, Jacques parti trop tôt depuis 12 ans le fantôme de Jacques toujours là quelque part près de moi me guide pourquoi il a nagé trop loin ? Tout le monde en demi-cercle sur la pelouse devant le bâtiment M rassemblés regroupés serrés Patrick moi on était au dernier rang on ne voyait pas on entendait rien quelqu’un parlait je me suis dit : « c’est le directeur de l’INSEP » on n’entendait pas ce qu’il disait à un moment tout le monde a applaudi c’était la fin de la minute de silence il y avait plein de jeunes c’était bien j’ai dit au revoir à Patrick il partait déjeuner avec des collègues je suis repartie ce soir il pleut très doucement

il fait doux les feuilles presque toutes tombées on voit les tentes dans le bois et les feux devant beaucoup plus visibles qu’en été les personnes là sont tellement discrètes presque transparentes les nouvelles willis du bois des feux des ombres, je n’ai pas osé m’approcher j’ai vu José qui vient tous les jours au bois j’ai rencontré l’élagueur du bois il habite les maisons sur le bord du lac des minimes, élagueur de la ville de Paris d’astreinte 24h/24 il a un herbier il connaît tous les arbres je ramassais les feuilles d’un copalme d’amérique et ce matin Sandrine et Gilles sont venus livrer une benne de feuilles mortes deux variétés : chêne et copalme d’amérique il va falloir les faire sécher les conditions de sécurité Dominique a dit :« d’accord » on va les étaler j’ai envie de marcher de rouler dans les feuilles mortes l’odeur des feuilles tombées l’odeur des champignons l’odeur des chevaux l’odeur des feux de bois l’automne les mycologues au Parc Floral une ruche en forme de cône peut-être peut-être à l’Aquarium ?

le bois l’automne le craquement des feuilles mortes sous les pieds les odeurs l’humidité qui monte un soir j’ai traversé l’allée royale sous la pleine lune j’avais du brouillard jusqu’à la taille au dessus le ciel clair la lumière blanche de la lune Jean-Christophe dit : « la lumière de la lune trouble les distances on navigue la nuit » je sentais les nappes d’odeurs les nappes d’humidité les nappes de températures ça change brusquement soudain on croise quelqu’un on se demande : « qu’est-ce qu’il fait là à cette heure-là ? » il se demande sûrement la même chose au bois tout le monde se demande ce que fait tout le monde tout le monde regarde tout le monde tout le monde déambule l’air de rien tout le monde jauge tout le monde tout le monde mate tout le monde essayer de deviner si peut-être pourquoi pas on ne sait jamais quelque chose peut arriver si les chemins peut-être converger pour faire quoi on ne sait pas on imagine au bois un soir un homme me demande : « Vous cherchez de la compagnie ? » j’ai trouvé ça élégant l’allée royale sous la pleine lune les arbres leurs branches menaçantes se penchent pour déchirer les habits il fait plus sombre sous les arbres les branches bougent les feuilles s’agitent il y a toujours un oiseau qui s’envole qui fait sursauter ce matin le crapaud dans le décor d’aurélie sur le grand plateau du théâtre le crapaud venu du bois le crapaud piégé dans un bocal à l’aquarium le crapaud ne savait plus comment retourner dans le bois une nuit j’ai voulu en attraper un, un crapaud sur le chemin en venant de l’INSEP j’ai failli l’écraser le crapaud s’est enfoncé dans les feuilles mortes je n’ai jamais pu le retrouver peut-être un roi ensorcelé je lui aurais mis une couronne il aurait repris sa forme humaine il y a bien un château dans le bois pourquoi pas des rois des rois inconnus des rois étrangers des rois transparents des rois invisibles l’allée royale n’aboutit plus au château s’arrête devant le mur de la caserne un terrain de vélo-cross à un bout un champ de blé à l’autre roi de quoi ?

valet de cœur la publicité dans le métro les jeux d’argent au bois c’est l’hippodrome les courses les paris les étages qui séparent les riches des moins riches des pauvres en bas entassés, au dessus les gradins à l’air libre au dessus les gradins vitrés au dessus le restaurant panoramique vue sur la ligne d’arrivée du champ de course tout autour la route du pesage les camionnettes des prostituées

ça a commencé par les gardes républicains mon habitation journées portes ouvertes à la Caserne Carnot pas dans la liste des sept envies au bois mais mon amoureux a été garde républicain premier régiment d’infanterie défilé sur les champs élysées quatorze juillet quadrille des baïonnettes j’avais envie de savoir assisté à la répétition générale seule dans la tribune d’honneur la place du roi au milieu la symétrie parfaite comme les danses baroques j’ai vu les figures : maison du roy reprise des tandems carrousel des lances quadrille des baïonettes les chevaux les cavaliers ils dansent le solo de dressage galop ralenti du pied droit changement de pied galop ralenti du pied gauche quatre trois deux un temps je n’avais jamais vu un cheval danser j’ai failli pleurer mon amoureux m’a dit : « On pardonne toujours les erreurs aux cavaliers à cause du cheval, jamais aux fantassins » chaque pas réglé au millimètre près au quart de seconde comme les danses baroques la lieutenante dit : « Les chevaux sont bichonnés une heure d’entrainement maximum par jour des vétérinaires des ostéopathes sur place à la caserne pas de médecin sur place pour les hommes ils doivent sortir » dans le bois les rondes des gardes républicains Johnny les a vus répéter un matin très tôt au lever du jour au printemps ils répètent les hommes les chevaux les musiciens beaucoup de chevaux dans le bois la caserne deux écoles d’équitation l’hippodrome combien de chevaux ?

« trente renards » a dit Michel le forestier il les compte il compte les papillons il compte les perruches il compte les bourdons il compte les crapauds les chiens il y en a plein les dog-setters promènent dix chiens à la fois j’ai croisé une dame avec son chien elle a dit :« Ils mettent un nouveau produit dans les allées du bois pour brûler les pattes des chiens » un monsieur à la table de la buvette du lac des minimes il a dit : « j’ai vu un homme noyer un chien dans le lac devant moi » les cyclistes veulent cloisonner l’anneau cyclable rouler à fond sans faire attention à rien tout oublier et rouler, venir au bois oublier et rouler tout oublier la ville les embouteillages le travail la famille les obligations le patron les clients tout oublier et rouler rester dans le cocon attendre la métamorphose une parenthèse au bois j’ai compté 4 lacs 34 routes 12 avenues 3 allées 1 sentier Laurent Fignon 4 plaines de jeux 3 parcours sportifs 15 kms de pistes cavalières 2 clubs d’équitation 2 casernes 1 club de tir à l’arc 1 temple 4 boulodromes 4 tennis-club 1 vélodrome 1 château 5 théâtres 1 ferme 1 zoo 1 arboretum 5 écoles, 1 pour les enfants, 1 d’horticulture 1 de police 1 de chiens-guides d’aveugles 1 ferme-école 1 centre de rétention administrative 10 restaurants 2 buvettes 1 cimetière 2 stades

la nuit seule dans le bois au début en vélo avec la lumière puis à pied dans les allées sans lumière on voit avec les nuages on voit mieux les nuages reflètent les lumières de la ville le ciel blanc orangé lumineux pas besoin de lumière pour marcher je marchais un homme a parlé à voix haute je l’ai entendu de loin, un autre il a allumé une cigarette je l’ai vu de loin je les ai trouvés prévenants de loin ils m’ont prévenu les personnes qui dorment dans le bois discrètes très discrètes ne pas se faire remarquer ne pas être chassées ne pas effrayer être invisibles transparentes pas de heurts pas de contact pas de bonjour je n’ai pas osé dire bonsoir hier dans la nuit traversé la route de la pyramide les embouteillages avant l’hippodrome les prostituées sur le bord tchatchent s’interpelle parlent au téléphone haranguent les automobilistes traversé la plaine St Hubert me suis retrouvée route du pesage je n’avais pas pensé être là une moto s’arrête l’homme descend marche vers la camionnette la lumière est blanche c’est libre pas osé m’attarder pas osé lui parler lui demander pourquoi comment marché à contre-sens sur l’anneau cyclable des cyclistes qui roulent la nuit avec la lumière comme très tôt le matin les amis d’Hubertus avant le travail une des femmes qui roule avec eux infirmière vient le matin avant le travail vient rouler au bois le matin avant le travail

hier Jean-Luc gardien au tennis-club de La Faluère, un de ses amis blessé aux jambes par les terroristes à la terrasse du café «  il va s’en tirer » a dit Jean-Luc, « physiquement il va s’en tirer mais le moral les sentiments qui tournent à l’intérieur les souvenirs » Jean-Luc inquiet pour son ami moi je ne reste plus le WE au bois c’est l’état d’urgence mon amoureux doit rester dans son département, mobilisé, c’est fini les dimanches au temple bouddhique la pagode du lac Daumesnil on goûtait tous les plats on mangeait des insectes devant l’étalage de poisson mariné, une jeune fille dit : « ici c’est le meilleur poisson mariné, cette dame qui le fait je la connais depuis des années, c’est le meilleur, ça peut se garder 3 ans, c’est tellement bon » la dame devant elle a tout acheté, plusieurs billets de 100 euros, dans le pré à côté de la pagode les combats entre armées à épées en plastique on fait semblant d’être mort quand on est touché sur l’allée royale les joueurs de quidditch ils courent un balai entre les jambes dans la clairière le long de l’allée de la Faluère le rendez-vous des garçons on faisait la sieste au soleil au milieu des garçons le fantôme de Jacques au soleil avec nous au milieu des garçons les matches de base-ball au stade Pershing les règles incompréhensibles un joueur nous a tout expliqué on comprenait toujours pas

à l’INSEP impossible de rentrer vérification des cartes d’identité « pour aller où ? » demande le vigile j’ai dit : « à la boutique » c’est juste à côté de l’entrée j’ai vu Ariane : la boutique de l’INSEP tout le monde peut y aller, Ariane dit : « tu peux aller à la médiathèque » j’ai vu Mirat : la médiathèque de l’INSEP tout le monde peut s’y inscrire, Mirat dit : « il y a aussi l’iconothèque » j’ai vu Patrick et Christophe : les collections de l’iconothèque de l’INSEP tout le monde peut les consulter j’ai vu Pierre et Caroline de la scolarité ils m’ont raconté le casse-tête des plannings les jeunes études générales et sport ils m’ont fait visiter les salles de classe de gymnastique, de lutte, de taekwondo, d’escrime, de natation, j’étais avec les enseignantes l’enseignante de lettres elle ne reconnaissait pas ses élèves pas comme sur les chaises dans les salles de classe l’intelligence du corps Pierre dit : le département médical de l’INSEP tout le monde peut y aller il suffit de prendre rendez-vous

Les fantômes du bois ceux que je n’ai pas rencontrés juste croisés aperçus vus regardés pas parlé pas osé parler les jeunes prostituées noires sur la route de la pyramide arrêt plaine de la faluère avant-hier soir j’ai pris le dernier 112 pour rentrer la jeune prostituée noire était dans celui qui arrivait elle est descendue terminus a attendu 20 minutes le départ du suivant du dernier celui que je prenais attendu 20 minutes côte à côte pas osé parlé pris le bus ensemble nous deux seules ensemble dans le bus arrêt plaine de la faluère pour la jeune prostituée noire cartoucherie pour moi la jeune prostituée noire sur la route de la pyramide toute la nuit le premier 112 le matin pour rentrer au métro le matin Mirelle croise les jeunes prostituées noires au métro le matin elle prend le premier 112 avec Pauline avec les femmes avec les hommes qui font le ménage à la Cartoucherie à l’INSEP ce soir mon amoureux arrive il peut venir trois jours autorisation de sortie du département accordée par le préfet mon amoureux sa mutation à Paris refusée pas sorti de Saint-Cyr pas du sérail pas la bonne couleur de peau noir 30 ans au service de l’état aucune reconnaissance comme les champions à l’INSEP après les médailles débrouillez-vous


l’histoire du bois les rois les militaires les sportifs les colonnies les sportifs l’écologie les sportifs

avenue de la belle gabrielle 1907 exposition nationale coloniale jardin d’agronomie tropicale

porte dorée 1931 exposition coloniale internationale

musée des colonnies

avenue de Gravelle 1995 centre de rétention administrative

avenue de l’école de Joinville 2015 aire d’accueil pour les gens du voyage

Être au bois dans le studio dans le théâtre dans la cartoucherie dans le bois dans la ville, protégée par les enceintes successives protégée rester dans le cocon attendre la métamorphose noyer le poisson noyer les chiens aujourd’hui j’ai cueilli les orties avec Fred pour le potage aux ingrédients du bois pourquoi pas le potage aux caniches le potage aux cyclistes le potage aux comédiens le potage aux habitants du bois s’il y a des rois il y a des ogres ils nous mangeront rôtis bouillis grillés pas de pitié le feu de joie du bois les militaires s’entrainent en short même l’hiver hier en vélo sur la route derrière un marcheur de l’INSEP roulé doucement sur la route derrière le marcheur de l’INSEP roulé sur la route au rythme du marcheur de l’INSEP lui concentré regardait sa montre les montres d’Ariane à la boutique de l’INSEP des montres pour enregistrer la vitesse les calories perdues le nombre de pas le nombre de kilomètres le dénivelé chaque jour mesurer comparer évaluer chiffrer aller plus vite sauter plus haut lancer plus loin soulever plus lourd gagner « on est en année olympique » a dit le directeur de l’INSEP à la soirée des champions seul but : gagner des médailles les sponsors remettent les trophées aux médaillés moi je compte les nuits qui me séparent du jour où je vais retrouver mon amoureux