Les Petites Epouses des Blancs / Histoires de mariages noirs, spectacle documentaire, de et par Marisa Gnondaho dit Simon et Stéphane Olry. Regard extérieur, Corine Miret, scénographie et costumes Bertrand Renard assisté de Marine Rieunier, lumière Luc Jenny.
Marisa Gnondaho dit Simon et Stéphane Olry conversent sur la scène : des concubinages ont uni des femmes africaines et des colons durant la période coloniale. Tous deux sont les héritiers de cette histoire, de manière radicalement distincte. L’arrière-grand-mère de Marisa était une Africaine du Dahomey, tandis que l’arrière-grand-père de Stéphane était un colon français au Gabon.
Histoire, conte doux-amer entre résonance coloniale et patriarcale : une situation délicate pour Stéphane Olry, du côté des colons malgré lui face à la vindicative Marisa Gnondaho dit Simon.
Ils ont mené une enquête sur la mémoire de ces « petites épouses » des blancs et la postérité de ces « mariages noirs » dans leurs familles respectives, d’où ici Les Petites Epouses des Blancs.
Dans la réalité coloniale, les « mariages mixtes » désignent les unions entre une « indigène » et un « citoyen français » – « mariages noirs » de la littérature coloniale. Ces unions se passaient du consentement de la femme, nommée « petite épouse ». Nulle reconnaissance officielle ou administrative ne validait ces unions demeurées souvent illégitimes, de même les enfants conçus.
Marisa Gnondaho dit Simon a donné à lire à Stéphane Olry Souvenirs de brousse, écrit par son arrière-grand-père, fonctionnaire colonial en poste en Afrique de l’Ouest au début du 20 ème siècle. Son union avec une femme africaine, l’arrière-grand-mère de Marisa, n’y est jamais évoquée… – mensonge par omission. Dans la famille africaine de celle-ci, était évoquée la liaison de filiation avec un Européen.
Quant à l’arrière-grand-père de Stéphane, Henri Jeanselme, il acquit l’Ile aux Perroquets sur l’embouchure du fleuve Gabon en 1892. Quand l’île fût vendue en 1947, le notaire apprit à la famille française du planteur qu’il s’y trouvait une maison avec une famille gabonaise : la décence et la justice commandaient qu’ils pussent demeurer là.
Les descendants de France surent ainsi que leur arrière-grand-père avait une seconde famille africaine. Le nom de la femme noire allongée nue sur une natte, sur les clichés photographiques de l’arrière grand-père, n’était pas indiqué. Une lettre signée « votre sœur » parvint aux héritiers, qui les remerciait d’avoir abandonné gracieusement la maison de l’Ile aux Perroquets.
La Revue Eclair partage ici avec les spectateurs certaines des questions soulevées par le destin de ces femmes aux noms oubliés. Réalité ou symbole, chacun est héritier de cette histoire.
Dans la fiction présentée sur scène, Marisa Gnondaho dit Simon et Stéphane Olry prétendent être cousins – ce qu’ils ne sont pas – et descendre de l’ancêtre Marc Simon, fonctionnaire colonial au Dahomey. Stéphane Olry présente le livre écrit par son aïeul Marc Simon : Souvenirs de brousse.
L’acteur expose des plaques photographiques prises par ce même arrière-grand-père. Marisa Gnondaho dit Simon l’interrompt au moment où il s’apprête à montrer quatre photos – une jeune femme nue allongée sur une natte, dans quatre positions différentes : « Accepteriez-vous de montrer ces photos si la jeune femme en question était votre arrière-grand-mère ? » et blanche…
Le dissensus possible entre les deux protagonistes est posé dès le début. Ils sont cousins, tous deux descendants du même ancêtre : un fonctionnaire colonial qui a deux descendances. Une officielle, blanche, reconnue, en métropole. L’autre cachée, métisse, bâtarde, laissée en Afrique.
Le récit narre de la découverte du lien familial qui les unit, les discussions qui les divisent, l’enquête qui les réunit, jusqu’au deuil des parents, témoins ultimes de ces « mariages noirs ».
L’arrière-grand-mère de Marisa Gnondaho dit Simon, « la petite épouse » de Marc Simon, prend la parole, révèle son nom et raconte son histoire à elle, celle qui a été tue durant quatre générations.
Certains spectateurs sont invités à lire à voix haute des documents de l’époque coloniale – le Guide pratique de l’Européen dans l’Afrique Occidentale, à l’usage des militaires, fonctionnaires, commerçants, colons et touristes, du Dr Barot, médecin des Troupes Coloniales.
L’ enquête a conduit les narrateurs vers des témoins, avatars contemporains du colonialisme : notaire, chocolatière, griot, ethno-psychiatre, syndicaliste, tirailleurs sénégalais, etc.
Ils relient le « Questionnaire sur les métis » émis par la société d’anthropologie de Paris en 1907 aux tests osseux pratiqués sur les jeunes mineurs isolés à la rue actuellement – ou comment les politiques successives des gouvernements ont toujours été étayées par des théories scientifiques.
À l’issue du spectacle, les spectateurs sont invités à dialoguer avec les aimables protagonistes.
Un spectacle fidèle à la Revue Eclair – regard délicat de Corine Miret et inventivité facétieuse de Stéphane Olry -, avec la belle présence sourde de Marisa Gnondaho dit Simon, un jeu subtil entre un passé significatif et revisité de témoignages et son ré-ajustement à un présent à re-considérer.
Véronique Hotte