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Dossier Des voix dans la Maison d'Orient

DES VOIX DANS LA MAISON D'ORIENT
ou
Le Voyage des Souvenirs

de Corine Miret et Stéphane Olry
Mise-en-scène de Xavier Marchand

Création en 1998, au Théâtre des Bernadines (Marseille), repris au Théâtre de l'Échangeur (Bagnolet)Des voix dans la Maison dOrient Stephane montre un documentpoursitePhoto Sébastien Boffredo

En quelques mots

D'abord, il y a eu un voyage au Proche-Orient.

Le voyage dura plusieurs mois, d'Alexandrie à Istanbul en passant par Le Caire, Aqaba, Jéricho, Jérusalem, Jaffa, Beyrouth, Damas, Alep. Ce voyage nous faisait découvrir un Orient d'autant plus proche que nous mettions nos pas dans celui de nos parents, qui en d'autres temps vécurent là-bas.
De retour en France, nous avons voulu faire un nouveau voyage dans la mémoire des Orientaux installés en France et qui vivent "entre deux rives". Le travail a commencé par une enquête menée à Marseille en janvier 1997. Nous avons rencontré des Libanais, des Syriens, des Égyptiens, des Palestiniens installés en France. Nous leur avons demandé de dresser une liste exhaustive des objets ramenés de là-bas, du plus significatif au plus anodin. L'évocation des souvenirs attachés à ces objets traçaient à l'issue de chacun de ces entretiens le panorama du pays quitté, le tableau d'une famille saisie par l'histoire de la région, et un autoportrait du propriétaire de ces objets. Pour écrire le spectacle, nous avons travaillé sur la trace que ces rencontres avaient laissées dans notre mémoire. Ce souvenir pouvait être quelque chose d'aussi fugace qu'un parfum, ou l'évocation de stores rouges à demi-baissés. Il s'est ensuite incarné dans une succession de gestes, de paroles ou d'images, un texte, une danse, une chanson. Les souvenirs se sont emboîtés comme des contes, des personnages sont apparus: la Maison d'Orient se bâtissait et se peuplait.
La Maison d'Orient est l'entrepôt de ces souvenirs. Les spectateurs sont au nombre d'une quarantaine. Un guide en pyjama les accueille dans la cours. Il leur fait découvrir le sonorama, le diaporama, le cabinet de numismatique. Une hôtesse en tailleur Chanel, évoque ses souvenirs du Levant, avant de livrer sa recette de la moussaka. Du plafond pendent un lustre à quatre étages, deux ventilateurs, des lampes de ramadan.
La pérégrination se poursuit entre les caisses où furent emballés les oranges de Jaffa, les ballots de coton d'Égypte, et puis aussi les cartons hâtivement ficelés, les valises trop pleines, les bagages à main où on entasse au derniers moments pêle-mêle objets précieux et inutiles. La voix de Camilia Orsoni, Palestinienne chantant des chansons de Faïrouz, traverse La Maison d'Orient et nous fait passer dans le second cercle des maisons murées, bombardées, d'une ville imaginaire sans cesse détruite et reconstruite où on rêve de revenir.
Nous sommes les auteurs mais aussi les interprètes dans la Maison d'Orient : nous avons confié la mise-en-scène à Xavier Marchand.

 Des voix dans la Maison dOrient la libanaisepoursite Photo Sébastien Boffredo


Pages arrachées aux carnets de transcriptions des entretiens (Marseille janvier 1997)

JACQUES (Lattaquié):
"Je suis né à Lattaquié, en Syrie.
A l'âge de trois ans j'ai quitté ce pays pour le Liban. C'est là que j'ai fait mes études dans un collège dirigé par des pères jésuites, puis à l'université Saint Joseph. Mon grand-père était dentiste-médecin-pharmacien à Lattaquié, mais professait l'art dentaire uniquement en ce temps-là. Je me rappelle, il m'avait même arraché une dent. J'avais peur. Il m'a dit :
"Va. Va. Ouvre la bouche, n'ai pas peur : je veux frotter ta dent avec de la graisse d'acier".
Ma tante m'avait amené au cinéma à Lattaquié, et on avait vu un film de Napoléon, celui d'Abel Gance. J'avais trois ans. C'était en 1930. Ce n'était pas muet je crois, on entendait les bombardements. En noir et blanc, mais la copie était bleuâtre, je me le rappelle. Ma tante s'occupait beaucoup de moi. Elle me faisait parler. Un jour, elle me demanda :
-"Qu'est-ce que tu veux être?"
Je lui ai dit :
"Je veux être Dieu." Je me rappelle.
"Si tu ne peux pas être Dieu" m'a-t-elle dit "qu'est ce que tu veux être?"
"Je veux être tankiste. Conducteur de tanks. Pour détruire les maisons. Mais je prendrais bien garde de ne pas détruire la nôtre."
(...)
"Je suis retourné au Liban quand mon père est tombé gravement malade. Il avait une cirrhose du foie. Je l'ai amené à l'hôpital américain à Beyrouth. Et le soir quand j'ai quitté, le médecin m'a demandé mon numéro de téléphone. Il voulait pouvoir me prévenir si mon père ne passait pas la nuit. Je suis rentré chez moi. Et dans ma chambre j'ai crié : "Dieu! Laisse mon père vivre encore six mois! Laisse mon père vivre, qu'il vienne en France et voit ma fille!" Mon père était un amoureux de la France. Toute sa vie il avait rêvé de venir en France. Et je pleurais : "Dieu! Fais que le téléphone ne sonne pas! Fais que mon père vive encore six mois! Fais que je puisse l'emmener en France!". Et quand le jour s'est levé, le téléphone n'avait pas sonné. Je suis retourné à l'Hôpital américain. Le docteur m'a dit que mon père avait bénéficié d'une rémission incompréhensible. Dès qu'il s'est rétabli, mon père est venu en France. Il a vu ma fille. Et six mois jour pour jour après cette nuit là, mon père mourrait. "Pourquoi tu n'as demandé que six mois?", me demande toujours ma sœur.

Des voix dans la Maison dOrient Netanyahoupoursite

 Photo Sébastien Boffredo

IBRAHIM (Alep):
"On faisait la navette toute la journée entre la maison et la boulangerie. On apportait à cuire, et on rapportait ce qui était cuit. Les gâteaux étaient faits par ma mère aidée par la voisine, aidée par la cousine; elles s'entendaient pour un jour dans la semaine qui précède la fête. Trois ou quatre femmes se regroupaient avec les enfants. Il fallait pétrir. La semoule, il fallait la gratter contre un récipient en argile, ça ouvrait le grain. Un peu d'eau, beaucoup de beurre de brebis, c'est un mélange assez sec, et il fallait le gratter, le frotter. Et le contact entre l'argile et la semoule faisait que la semoule s'ouvrait un peu, sans s'imbiber d'eau, sans être gluante, elle restait friable, et défaite tout en étant un petit peu attendrie."

NASSER (Gaza):
"Si on croise une fille, on lui fait un clin d'œil, si elle sourit, ça veut dire que je l'intéresse, qu'elle m'intéresse. Et ensuite, je me débrouille chaque matin pour sortir de la maison à sept heure. Et elle sort aussi de sa maison à sept heure. Elle marche devant, et moi, je marche trois-quatre mètres derrière. On commence à parler discrètement, parce que c'est interdit de parler aux filles. Dans un coin secret, elle laisse tomber une lettre, je la ramasse, et voilà. Des fois, j'accélérais, je la dépassais, et comme ça on se croisait et on pouvait se voir. Il y avait deux kilomètres entre la maison et l'école. On avait le temps quand même. Mais le temps passe très vite. Deux kilomètres en marchant lentement, ça peut prendre beaucoup de temps, mais quand même, on finit par arriver. Des fois, on sortait tôt le matin, mais vraiment très, très tôt."

JAWAD (Deïcha) :
"Ça c'est un camp de réfugiés. C'est notre camp, Deïcha. La photo a été prise en 56 par un anglais de passage par là. De retour en Angleterre, il nous a envoyé un tirage, et depuis tout le monde a cette photo agrandie chez lui. La photo a été prise dix ans après l'exode. Ils sont encore sous des tentes. En 48, les gens croyaient que dans deux ou trois jours, ils allaient revenir. Ils ont caché le blé, et sont partis. Aujourd'hui, nous sommes en 97 et personne n'est revenu. Nous sommes tous nés dans une seule pièce, dans ce camp. Deïcha, c'est à coté de Bethléem : on était quarante mille. En 67, ils sont tous partis se réfugier en Jordanie. Mais mon père, deux ou trois jours avant que la frontière ne se bloque a décidé de revenir à Deïcha. Il disait : "Si je reste en Jordanie, c'est la mort pour moi. C'est pas mon pays." Et il est retourné au camp. Avec l'exode de 67 la situation s'est améliorée. Parce qu'avec les départs pour la Jordanie, il y avait des pièces libres. Mon oncle, par exemple, il était un débrouillard, et il avait trois pièces. Quand il est part il a laissé les clefs à mon père. Beaucoup d'autres nous ont laissé les clefs, nous avions ainsi dans le quartier cinq maisons à nous. Ensuite d'autres réfugiés sont venus, et mon père leur a donné ces maisons. Le camp est installé sur un terrain acheté par l'ONU pour quatre-vingt dix-neuf ans. Il est en plein désert, mais il a une frontière précise, et on n'avait pas le droit de construire au dehors. Maintenant, c'est chez nous. Les gens qui avaient la chance d'avoir un terrain le long de la frontière, ont cassé le mur pour agrandir leur maison. Il n'y a plus de frontière maintenant. Et autour c'est cultivé à présent.
Ça c'est une photo des autoroutes réservées aux israéliens qui traversent les territoires occupés. Avant là, c'était des vergers. J'y allais avec ma copine, on mangeait des fruits. La nuit, il y avait des maisons abandonnées où on dormait. Aujourd'hui, avec leur tunnel, ils ont tout cassé. Ils ont coupé la vallée en deux. Ils ont détruit les maisons, arraché les arbres, comblé le fleuve. Au profit de quoi? Il n'y a jamais de voiture qui passe. C'est pour relier leurs colonies de peuplement. Mais il n'y a personne là-bas. Deux ou trois familles qui restent, et quand elles trouvent un logement à Jérusalem, elles repartent."

LEÏLA (Marseille):
"Je suis née en 58. Mes parents étaient Algériens. Ils voulaient m'appeler Faïrouz. Mais quand ils se sont présentés à l'état-civil, on leur a demandé "Faïrouz, comment ça s'écrit?" Mes parents étaient analphabètes. Ils ont répondu : "Je ne sais pas". L'officier leur a dit : "Tant pis. Appelez-la Leïla". Et ensuite mes parents m'ont fait découvrir les chansons de Faïrouz. Et je me suis dit : "Si un jour, j'ai une fille, je l'appellerai Faïrouz". Et quand la petite est née, nous l'avons appelé Faïrouz. En arabe, ça veut dire Turquoise."

 Des voix dans la Maison dOrient Camilia et porte manteaupoursite

 Photo Sébastien Boffredo

Notes biographiques

 

Xavier MARCHAND :

Comédien plusieurs années sous la direction de Claude Régy et Jean-Marie Patte.
Metteur-en-scène depuis 1989, il a monté des spectacles d'après Stéphane Mallarmé, Gertrude Stein, Robert Walser, des textes de Suzanne Joubert, le "Kde E" et "Beaucoup de colle" d'après Kurt Schwitters en collaboration avec Olivia Grandville. Ces spectacles ont été joués en France : Théâtre des Bernardines (Marseille), Revue Eclair (Paris), TGP (St-Denis), Le Cargo (Grenoble), Théâtre des 13 vents (Montpellier), Ferme du Buisson (Noisiel), Festival d'Avignon et à l'étranger (Belgique, Suisse).
Organise et met-en-scène depuis 4 ans "les petites topographies littéraires" des communautés de Marseille : Arméniens, Arabes, Vietnamiens, Berbères.

Camilia ORSONI :
Palestinienne, née à Jaffa.
Comédienne elle a joué en 89 et 90 au Théatre Beit El Karma à Haïfa (Israël), et dans "Sadak Ill-Kaâl", fiction présentée sur la première chaine de télévision israëlienne.
Elle a enseignée ensuite au Collège Français des Frères de Jaffa les arts plastiques, l'arabe et l'hébreu .
Installée à Marseille depuis 1994, elle crée en collaboration avec Laurence Langlois un "Récital Palestinien" présenté à Marseille, Digne, Vaugneray, Aubagne, Avignon, Vitrolles, Cavalaire, Gaza (Palestine).

Fiche artistique

DES VOIX DANS LA MAISON D'ORIENT

Un voyage dans les souvenirs de Libanais, Syriens, Palestiniens, Égyptiens venus vivre en France.

Un spectacle
de Corine Miret et Stéphane Olry

Mis en scène par Xavier Marchand

avec
Corine Miret
Stéphane Olry
Camilia Orsoni

Lumière :
Sylvie Garot

Assistant à la scénographie :
Alexandre Chinon

Des voix dans la Maison dOrient le mur de cagettes 2poursite

Du 8 septembre au 3 octobre 1998
Du lundi au samedi à 20h30 (précises)

Théâtre de l'Echangeur
59, av. du Général de Gaulle
(ancienne av. Galliéni) 93170 Bagnolet

Coproduction :
Théâtre des Bernardines - Lanicolacheur - La Revue Eclair
en co-réalisation avec Le Théâtre de l'Echangeur
et le soutien de L'ADAMI, de l'AFAA - Ministère des Affaires Étrangères, de l'ENSCI/Les Ateliers
et l'aide à la reprise du Thécif (Conseil Régional d'Ile-de-France)