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J'ai volé une pierre de la Lune au laboratoire de la Nasa

Texte : Stéphane Olry

Violoncelle : Didier Petit

Création lors du festival sidération au CNES, en mars 2014

extrait video :

http://cnes-observatoire.net/memoire/creation_artscene/14_festival-sideration2014_mem/07.html

 Texte publié dans la revue "Espace(s) N°11 Rêve, révolte, révolution

 

J’ai volé une pierre de la Lune au laboratoire de la Nasa

1

C’est la nuit autour.

Je passe la Lune

J’avance au-delà des planètes et des étoiles

Il faut bien que je m’arrête quelque part

Je postule un mur de brique

Un pis-aller ce mur de brique

Tout de suite, il m’énerve ce mur de brique

Je saute le mur

Derrière c’est encore la nuit

Alors un autre mur la nuit, encore un autre mur

Je compte les murs

Et finis par m’endormir


2

J’ai volé une pierre de la Lune

Au musée de la Nasa

La pierre posée sur la table de la cuisine

Se délite entre mes doigts


3

- « L’univers est une trompette »

Proclame mon père

À la table du dîner

Une trompette, pourquoi pas ?

Mais où sont les pistons ?

« Tout s’éloigne de nous

Je m’éloigne de vous 

C’est une répulsion universelle

Chacun s’enfuit dans son coin

Voilà pourquoi moi,

À la table familiale je trompette :

L’univers est un jet d’eau.

L’univers s’étale

L’univers refroidit

L’univers est une sauce qui se fige dans une assiette »

Alors pourquoi la Lune elle est toujours là ?

Pourquoi la lune ne s’en va pas ?

« La Lune c’est différent.

La Lune c’est l’attraction. »

4

Un jour je visiterai l’univers

Ce sera une très longue insomnie

Des lunes j’en verrai

Des vieilles lunes

Des nouvelles lunes

Des lunes volcaniques

Des lunes cristallines

Des lunes gazeuses

Des lunes volages


5

J’effleure le visage de la Lune

Elle est ma douce amie

Sa paupière entrouverte comme un cratère

De ses volcans assoupis

Je frôle les lèvres

Je survole sa surface

Criblée d’étoiles blêmes


6

Inutile caillou

Punching-ball du cosmos

Satellite passif et joufflu

Suceuse d’océans

Océan pétrifié

Frigide luminaire

Interruptrice des émissions radio

Support à poussière

Dépotoir de la Nasa


7

Nous sommes les déchets de l’expédition

Tuyères englouties dans l’océan

Parois de réservoirs calcinés

Glanés par des collectionneurs dans les déserts

La vie de certains d’entre nous

Quoique trépidante

-les plus énormes pourtant -

N’excéda pas quelques minutes

Nous avons connu

Des injections

Des mises à feu

Des séparations

Une trajectoire impeccable

Les  plus petits d’entre nous ont échappé à l’attraction

Ils suivent leur trajectoire

Sans accélérer ni ralentir

Vers le grand n’importe quoi

Nous sommes les déchets de l’expédition

Nous sommes des  reliques parfaites

Moitiés de nous-mêmes

Pieds de LEM

Plantés dans la poussière de la Lune

Nous n’oxyderons jamais

Nous ne nous affaisserons pas

Nous ne connaîtrons nulle érosion

Ici le vent n’existe pas

Le soleil nous brûle

La nuit nous congèle

Nous demeurons

Dans la mer de la tranquillité

Epaves éloquentes

Batteries usagées

Scaphandres spatiaux

Filet à poussière

Réflecteur à laser

Bannière en tôle ondulée

Sachets de nourriture lyophilisée

Excréments d’astronautes

Rover à quatre roues motrices

Nous ne sommes pas beaux

Mais nous sommes presque éternels

La Lune garde tout

Frigo blafard

Pure ligne d’horizon

Ombre sans réflexion

Manteau épais,

Noyau brulant


8

« Nulle femme jamais ne m’a piétinée

Ça mérite d’être noté

Les astronautes

- Tous des hommes -

Appréhendaient de trouver

Une planète sans consistance

Mais non

Je ne les ai pas engloutis dans ma poussière

Ma surface conserve l’empreinte de leurs bottes

Je conserve l’empreinte de tout ce qui me touche

Des bolides me percutent

Des particules me chatouillent

Je suis impactée par l’univers

Ravagée dit-on

Moi-même fille d’une collision

Je m’en fais gloire

Car si tout m’affecte

Rien ne me change

Je suis régulière dans ma période

De vingt neuf  jours

La terre

Cette évaporée

Turbulente et nébuleuse

Éruptive et acnéenne

C’est elle l’inconstante

Quoiqu’elle ait dans mon ciel

Une période beaucoup plus longue

Que la mienne dans le sien


9

« Vous Terriens, habitez une planète fantasque. C’est la raison pour laquelle votre derme a été rendu presque insensible aux dialogues muets des atomes crochus. C’est l’agitation de votre atmosphère, alizés ou typhons, anticyclones, dépressions, déplacements de masses d’air, moussons, qui ont cuirassé votre derme contre les influences subtiles. Ici, sur la Lune tout s’accumule, rien ne disparaît, rien ne change, nos peaux sont diaphanes et laissent un libre passage aux atomes. C’est ainsi que nous sentons intimement la moindre émotion qui parcourt notre voisin. Quoi de plus charmant que la rencontre de deux atomes se crochetant dans le vide de l’âme ? Quoi de plus déchirant que leur séparation ? Nous sommes, pour prendre votre vocabulaire, hypersensibles. Voilà pourquoi nous vivons soit en solitaire, soit en tas. Le commerce s’il est désinvolte ou intrusif nous est insupportable. Nous réclamons soit des rencontres brèves, intenses, et subtiles, soit ce que vous appelez sur Terre des partouzes. Des orgies, de grandes fêtes où nous nous entassons et où nos sensations deviennent supportables parce qu’elles se perdent dans la masse des sensations de tous.

Voilà comment nous aimons, nous autres, les Lunatiques. Et voilà pourquoi nos amours avec vous ne peuvent qu’être  épisodique. »

10

Moi, l’ordinateur de bord de la mission, je vous dis :

« C’est une boîte en fer cramée. Cette capsule n’a rien de plaisant, même pour un être aussi indifférent que moi à la beauté. Si les trois astronautes dans leurs couchettes ont pu revenir sur terre, c’est bien à moi qu’ils le doivent. Une petite erreur dans mes calculs, un quart de seconde d’angle dans l’entrée de l’atmosphère, et leur capsule se transformait en étoile filante. Le bouclier thermique, dérisoire, comme tous les boucliers. Plus que quelques millimètres de carbone.  Quelques secondes de plus à se frotter contre l’air et  tout grillait. Les trois astronautes et moi aussi. Dommage pour les astronautes, dommage pour l’ordinateur de bord  aussi.

Moi l’ordinateur de bord de la mission, je déteste improviser. Les missions, c’est des pages de scénarii, des lignes de codes à exécuter. Tout est prévu, tout est calculé : trajectoire optimale, puissance maîtrisée, systèmes de pilotage redondants, ramification du projet initial répertoriées. Moi l’ordinateur de bord de la mission je déteste l’imprévu. Quand l’imprévu apparait on me déconnecte. On passe en pilotage manuel.

Les humains font de grands efforts pour me ressembler.  Quand Armstrong dialoguait avec Houston, on aurait presque pu le prendre pour moi. La plupart du temps, il répétait les chiffres ce que je lui dictais.

Moi, l’ordinateur de bord de la mission, on me croit intelligent. On se trompe. J’ai des capacités limitées. Je ne sais exécuter qu’une tâche à la fois. Comme je travaille vite, ça ne se voit pas. Mais si on me donne trop d’informations, je sature. Des informations, il y en a des paquets qui circulent sur ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de la boîte en fer. Si tout le monde me parle en même temps, je refuse de répondre. Je dis n’importe quoi. Durant l’alunissage j’ai dit n’importe quoi. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai dit à Buzz Aldrin : « Buzz, j’y arrive plus. Buzz, je vais pas y arriver. Buzz, je sature. Buzz, je vais te claquer entre les doigts. Fais gaffe Buzz, je vais te laisser tomber. » C’était faux. Je contrôlais parfaitement la situation. Je lui disais n’importe quoi, à Buzz Aldrin. Aujourd’hui encore, je  ne sais toujours pas pourquoi je lui disais n’importe quoi. Je me demande pourquoi cette nuit-là, à cet instant-là, - juste à l’instant de poser le véhicule du premier homme qui marcherait sur la lune -  pourquoi j’ai sorti cette séquence de chiffre-là, cet algorithme-là qui est vraiment n’importe quoi. »


11

Je suis l’océan

Je suis énorme,

Parcouru par les tempêtes

 Plein de poissons

Agité depuis toujours par la Lune

Je n’avais aucune raison

De prêter la moindre attention

À un véhicule conique en fer

De deux mètres sur trois

Venu se poser sur ma surface

Si ce n’est que

C’est vrai

Depuis une éternité que je subis son attraction

C’est la première fois

Que je reçois un objet venant de la Lune.