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Fruit d’une commande du Théâtre de la Poudrerie de Sevran à La Revue Éclair, Les petites épouses des blancs / Histoires de mariages noirs est une « causerie » qui en dit long sur un pan de l’histoire coloniale : les unions entre colons et indigènes. À découvrir en toute intimité.

« ‘’L’Afrique, c’est loin’’. C’est ce qu’on disait dans ma famille. ‘’L’Afrique, c’est loin’’. On ajoutait : ‘’Et puis, c’est il y a longtemps ». Avec ces phrases, Stéphane Olry expose d’emblée le sujet de la pièce ou « causerie » dont le titre est lui-même bien explicite : dans Les petites épouses des blancs / Histoires de mariages noirs, l’auteur, metteur en scène et co-fondateur avec Corine Miret de la compagnie La Revue Éclair exhume un pan du passé colonial de sa famille. Ou une histoire qui y ressemble. Face à cette tâche délicate, il n’est pas seul : assise face à lui à petite table qui avec une grande malle montée sur pieds et quelques lampes fait office d’unique décor du spectacle, la comédienne et musicienne Marisa Gnondaho dit Simon est là pour l’accompagner. Pour le pousser à explorer les zones les plus sombres de ses archives familiales, en mêlant à ses paroles son propre récit. Fruit d’une commande du Théâtre de la Poudrerie de Sevran sur le thème de « La Rencontre », Les petites épouses des blancs / Histoires de mariages noirs puise avec intelligence dans un passé intime pour questionner des fractures collectives encore bien présentes.

Si la Covid n’en avait décidé autrement, c’est chez un habitant de Sevran ou d’une ville voisine que nous aurions dû découvrir Les petites épouses des blancs / Histoires de mariages noirs de La Revue Éclair. Né en 2011, récemment labellisé Scène conventionnée d’intérêt national  Art en territoire, le Théâtre de la Poudrerie qui se définit comme un « théâtre de la socialité » est en effet une référence en matière de théâtre en appartement : « lieu de rencontre entre des équipes artistiques professionnelles et des habitants aux profils variés », il suscite chaque année la création d’une dizaine de formes légères qui tournent à domicile dans plusieurs villes partenaires – Tremblay-en-France, Villepinte, Clichy-sous-Bois et Le Bourget – avant de souvent poursuivre leur route hors de leur Seine-Saint-Denis natale. Ce fut le cas de la création de Marissa Gnondaho dit Simon et de Stéphane Olry, qui fait partie de la cuvée 2019 de La Poudrerie. Dans la petite salle du Service culturel de Sevran où nous voyons la pièce le 24 octobre, on imagine la belle résonance qu’elle peut trouver au sein d’une famille, dans son décor quotidien.

En s’inventant un ancêtre commun, Marc Simon auteur d’un livre intitulé Souvenirs de brousse – c’est là l’un des seuls éléments de fiction de la pièce –, les deux artistes placent la famille au cœur de leur dialogue. En reliant ainsi leurs deux histoires familiales de « mariages noirs », nom donné à l’époque des colonies aux unions entres colons et « petites épouses » africaines, Stéphane et Marissa donnent à entendre les traces qu’elles ont laissé aujourd’hui. En faisant le récit de leurs enquêtes respectives comme si elles venaient à peine de se clore, ils mettent en avant la persistance des inégalités à travers l’Histoire. Descendante d’une arrière-grand-mère africaine du Dahomey qui fut une « petite épouse de blanc », Marissa n’a pas le même rapport à ce passé que Stéphane, dont l’arrière-grand-père, colon français au Gabon a « bourlingué en Afrique de l’Ouest au gré de ses nominations » dans l’administration coloniale. S’il cherche à débusquer, à dénoncer les violences perpétrées par son aïeul envers les « belles indigènes » dont il faisait ses épouses à chaque nouveau poste, Stéphane ou plutôt son double théâtral n’est pas exempt d’une forme de culpabilité ni de certains réflexes de domination venus de loin.

C’est là la force de cette causerie : en plus d’être un espace d’exposition d’une vérité longtemps occultée, elle est le lieu des tensions suscitées par cette même vérité. Ce qui fait d’elle un objet de théâtre, dont le processus de fabrication est en partie rendu visible. Tout en nous faisant pénétrer dans les secrets de leurs lignées avec rigueur, Marisa Gnondaho dit Simon et Stéphane Olry relatent les rencontres très diverses qu’ils ont faites lors de leurs résidences de création : l’ethnopsychiatres Charles Di, la propriétaire de l’Otarie Gourmande (la chocolaterie de Sevran) qui leur décrit le trajet des fèves de cacao, un syndicaliste de Saint-Ouen qui leur « expose les mécanismes modernes de la traite des travailleurs entre l’Afrique et la France », un griot qui encourage Stéphane « à prendre la route immédiatement pour l’Afrique à la recherche de la semence du patriarche de notre famille »…

Toutes ces personnes sont présentes dans la causerie de La Revue Éclair, qui s’inscrit dans la droite ligne du travail de la compagnie depuis 1997. Tout-terrains, avec une préférence pour ceux qui se tiennent éloignés du théâtre et de ses institutions – Stéphane Olry et Corine Miret se sont par exemple penchés sur le Proche-Orient, sur les supporters de foot de Saint-Étienne, l’exercice de vertu de Benjamin Franklin ou encore les habitants du Bois de Vincennes –, la compagnie poursuivra son chemin avec le Théâtre de la Poudrerie la saison prochaine. En plus de ses pièces en appartements, la Scène conventionnée porte des créations participatives dites « grand format ». Stéphane Olry et Marissa, rejoints sur le plateau par Corine Miret, y poursuivront leur enquête en portant sur scène d’autres histoires que les leurs. La Revue Éclair revient vite.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

x Un reportage pour le journal télévisé de FR3 Région IdF
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