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Portes ouvertes à la caserne Carnot (2) : Les évolutions équestres

J’entre dans la caserne Carnot. Discipliné, j’attache mon vélo à des barrières Vauban disposées afin de servir de garage à vélo.

entree casernepoursiteAutour de la carrière, des stands sont alignés : pour les œuvres sociales de la gendarmerie, pour l’information de futurs postulants, pour la vente de livres et de CD sur les missions de la gendarmerie (sauvetage en montagne, GIGN – protection des chefs d’état etc). Le public se presse dans le stand de présentation des armes  pour admirer sabres, casques à crinière, flash-balls, fusils d’assaut, poignards etc.

Sur un rocher d’alpinisme, des enfants apprennent à grimper sous les conseils d’un gendarme guide de haute montagne. longes libertepoursite

Tout est très organisé, viril, poli, ponctuel, réglé, propre, blanc. Les cabines des toilettes foraines bleues sont en train d’être nettoyées par un homme et une femme noirs. De toute la matinée, ce seront les seuls noirs que je croiserai là.

La cour de la caserne Carnot est divisée en deux partie : une carrière pour l’échauffement, une seconde pour les reprises.

Je suis venu revoir le solo de dressage que j’avais déjà entraperçu la veille en me rendant au théâtre. Je cherche une place dans la tribune, en trouve une, m’assois, et quelques secondes plus tard, me ravise et quitte la tribune. Ma place n’est pas là. spectatrice blondepoursite

Je vais m'accouder à la barrière de la seconde carrière pour observer les chevaux du carrousel qui s'échauffent sous les regards des amateurs. Ce sont de beaux chevaux. Ils conservent leur part d’imprévisibilité, de pulsions, d’émotions, de jeu, de refus, de singularité.

Les chevaux sont ce qu’il y a de plus humain dans cette caserne.

J’observe sur la croupe d’un des chevaux que la tonte dessine des carreaux. Pourquoi l’ont-ils tondu ainsi, celui-là ? Au passage des suivants, je me ravise : toutes les croupes de tous les chevaux sont tondues en carreau. Alors, j’ajoute in petto : qu’ils soient tous tondus de manière uniforme n’est pas une réponse à ma question. Or dans un premier temps, je m’en contente : c’est bien la force de l’uniformité. Ce qui s’applique à tous devient-il presque instinctivement indiscutable ?carouselpoursite

Le carrousel obéit aux mêmes contraintes formelles que la danse baroque et le quadrille des baïonnettes. Arabesque des parcours, mouvement en miroir par rapport à un axe central. Cependant l’impondérable apporté par l’animal apporte une pétulante diversité. L’ancien garde-républicain ami de Corine lui a confié qu’on pardonne beaucoup plus les imperfections dans les carrousels équestres que dans les évolutions des fantassins.

Ces escadrons de cavaliers casqués, ces lances pointées vers le ciel renvoient le même message têtu de menace, d’intimidation que le quadrille des baïonnettes. Ces uniformes chamarrés, ces chevaux l’écume aux lèvres charrient l’histoire des répressions : des émeutes en métropole, des mouvements indigènes dans les colonies.

Aujourd’hui on utilise à nouveau les forces équestres pour la répression des mouvements de rue les plus durs et les plus organisés : ceux des hooligans autour des stades par exemple.loch nessspectateurspoursite

Les dix minutes du solo de dressage que j’observe avec une attention redoublée justifient ma présence dans cette caserne. Le cheval s’appelle Loch Ness. C’est un hongre de 14 ans. J’ai oublié le nom du cavalier. En comparant nos souvenirs respectifs de nos visites de la Caserne avec Corine, cavaliers et chevaux sont dédoublés et alternativement présentés. Au cas où un cavalier ou un cheval manquerait à l’appel : logique militaire. La même d’ailleurs à l’Opéra de Paris où chaque rôle possède sa doublure.

J’ai appris par Corine que le cheval – heureux mortel – ne travaille pas plus de deux heures par jour. Après, il bronche, se rebiffe, refuse l’exercice. Le cheval sait qu’un travail artistique de plus de deux heures par jour n’est pas productif.

Le silence du présent texte rendrait au mieux compte de la grâce que représente ce solo de dressage. Que dire ? Que là apparaît une étrange chimère, naissant d’un accommodement, d’un accord, une harmonie possible entre deux corps radicalement étrangers : celui de l’homme et celui du cheval.

La violence induite par le mot de dressage signifie bien qu’à priori, c’est bien à la volonté de l’homme qu’obéit le cheval. L’inverse – comme dans le monde des Yahoo décrit dans le Gulliver de Swift – nous semble absurde. Cependant, si le cheval ne fait pas ce qu’il veut, il n’en reste pas moins que ce sont ses mouvements « naturels », ceux que le poulain exerce spontanément seul dans un pré que le cavalier lui demande dans la carrière.

Si l’art c’est l’enfance retrouvée à volonté, alors cette chorégraphie, même dans ce cadre tout utilitariste, tout militaire qu’il soit, ressort de l’art.

Au reste, ce qui me semble le plus apparenter le théâtre avec l’armée, et faire la grandeur des deux activités c’est l’inutilité foncière qu’elle partagent. Dans le fait de s’entrainer afin - dans le cas de l’armée - de ne pas se battre : c’est ce que mon père appelait la grandeur et la servitude militaire. Et pour le théâtre, répéter – non pas pour ne jamais jouer -, mais pour une représentation dont il ne restera, matériellement, rien.

Comme pour La Revue Éclair poursuivre une exploration du bois de Vincennes afin d'écrire un spectacle qui n’aura probablement jamais lieu, puisque l’année prochaine, lorsque le spectacle devrait être présenté, nous ne serons plus  à l’Aquarium qui aura changé, selon les désirs du Ministère de la culture, de directeur.