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Quels mots pour parler de vos dons, de votre activité ? Polémique 3

Quels mots pour parler de vos dons, de votre activité ? Polémique 3

Découdre les mots tramés qui vous méprisent, stigmatisent et réduisent. Poursuivre jusqu’en ses soubresauts la vulgarité infâme qu’on déverse sur vous. Certes. Mais que tisser dans le langage pour vous seulement ?

(Suite de Le bois l’oisif et de Polémique 1 et 2)

Une fois posé l’Oisif comme figure majeure de la Carte de Tendre des bois ; cela contient que l’Oisif ne relève point de l’ « oisiveté » au sens vague et bêtement péjoratif de la langue actuelle. Langue bifide et engourdie. Bifide oui, puisqu’elle oppose travailleur à oisif. C’est là qu’entre en scène le « travail du sexe ».

Notion évidente. Comment, sauf sous des prétextes fallacieux ou puritains dont Tartuffe est le patron, comment ne pas exiger inconditionnellement les protections sociales, les droits et la dignité qui vont avec tout travail — pour vous ? Comment refuser de seulement vous écouter quand vous exigez votre droit ? Vous qui trimez librement comme presque tout un chacun, monnayez de plein gré votre temps-corps comme tout salarié, êtes soumis aux nécessités, lois et choix qui discriminent la liberté du travailleur libéral ? Virginie Despentes et Marcela Iacub ont écrit ce qu’il y a à écrire là-dessus en République. Le reste n’est que croassements, pusillanimes ou intentionnellement liberticides dirigés contre vous et contre ce que révèle la passe, entre autres du lien sexe-argent, qu’on ne saurait voir. Contre la liberté de vous revendiquer, non dans la marge qu’on vous abandonnerait, mais dans l’ordinaire des libertés individuelles, économiques, démocratiques, toujours conquérantes.

C’est pourquoi je m’oppose depuis le début du processus (2011) à la loi hypocrite de « pénalisation du client ». Ses arguments sont ceux d’une Ligue de vertu éprise d’abstraction morale et d’exaltation émancipatrice dénaturée : on prétend « libérer » des personnes contre elles-mêmes ! Les convaincre d’opprobre sur le plan des valeurs, qu’elles sont esclaves, victimes absolues, pas encore sujets de plein droit. Que leur parole est aliénée. Qu’elles gagneront un absolu humain quand leur activité sera basculée dans l’illégalité !

Sans parler des effets tragi-comiques de cette loi qui repousse la ligne de l’illégal au seul détriment des premiers concernés, prostitué.es précaires, on ne peut qu’être effrayé d’un Etat qui fait proliférer le non-droit et la marginalité sous couleur d’administrer un « problème ». Idem pour les migrants, roms, sans-papiers, demandeurs d’asile, travailleurs et chômeurs, mis dans les zones grises tracées par des lois ambivalentes, qui persécutent concrètement ceux qu’elles disent garantir abstraitement.

Revenons aux mots. Car s’il faut, contre les orfraies du malheur, compter votre activité comme travail ; je ne peux pour ma part me satisfaire de retourner les stigmatisations comme un gant. La stratégie langagière d’Act Up qui hisse les injures en étendard, « nous pédés, gouines, putes, séropo, travelos » etc., rencontre pour moi ses limites, y compris politiques, dans la pauvreté qui s’y dédouble en miroir, et pour finir dans une totale absence d’imagination, de vision.

Grisélidis Réal est une passeuse vers une autre rive. C’est elle, la militante qui portait la révolte des « putes » de Lyon, des « salopes » du Manifeste tant copié, elle qui en même temps a commencé à délivrer les mots. Ecrit sur ce qu’elle et ses copines des Pâquis vivent, voient, désirent, subissent. Comme une funambule qui connaît le vide autour et le public avide. Qui sait qu’esthétiser ou poétiser ce réel-là est un piège aussi, une autre manière de faire le jeu du sordide, donc de la morale. Que la ligne de l’écriture est étroite, alors elle la tressera de toutes les folies. Grisélidis, celle qui délivra les mots de leurs carcans et carquois. C’est en entendant l’énergie des mots délivrée par Grisélidis Réal, que je peux imaginer

commencer

à parler

de vous.

Aujourd’hui le 21 juillet 2015, actualité des prostituées chinoises de Paris :

http://blogs.mediapart.fr/blog/la-cimade/210715/prostitution-le-harcelement-policier-prend-le-pas-sur-la-protection-des-victimes