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Scène 2

Scène 2

Cette fois-ci vous êtes plusieurs à contre-jour, dans ce contre-jour de la nuit fait du cuivre vert-de-gris des réverbères qui arrosent les bretelles d’autoroute plongeant vers les entrailles du bois, A13, boulevards périphériques. C’est sur ces dalles calvitieuses d’herbes fatiguées, baignées dans le grondement du flux des voitures, que vous avancez vers moi, autant dire que je n’en mène pas large, même si depuis la Scène 1(j’ai 15 ou 16 ans) je me suis juré de vous aborder. Mais c’est vous qui faites le premier pas, normal, n’êtes-vous pas les grands-prêtres de ce racolage, de cet aguichage du tout-venant qui font s’étrangler, sangloter, puis mourir dans un dernier spasme d’horreur les législateurs gardiens des bonnes mœurs et de la bonne tenue de ces bois mille fois compissés par les cabots du Seizième, ça ce ne serait rien, mais mouchetés par les centaines de passes buissonnières et autant d’orgasmes blanchâtres virevoltant au hasard de ces nuits chaudes de la fin des années 80, dont vous êtes les corps d’artisans sans patente ? Vous m’abordez, je me sens tout petit soudain, enfant devant votre superbe maintien sur le fil de vos talons aiguilles, et d’une « rauque voix » vous me dites : tu vas où ? pas par là, hein ? Moi interdit : pas par là, pourquoi pas ? Vous surélevé, mondain, mystérieux : parce que par là (désignant la direction opposée à celle où vous vous tenez) c’est le coin des vicieux ! N’y va pas mon petit.

Je fondrais sur place plutôt que d’avouer que le coin des vicieux je connais, je ne connais même que ça ou presque. Vu que mon itinéraire le traverse, et que de sentes en tortilles j’ai découvert ces silhouettes qui marchent comme on rampe dans le secret d’un vivarium : au ralenti, en silence, en dardant des regards dissimulés dans le noir nocturne et le noir fantasmé, la doublure noire des ténèbres du bois.

Mais vous me montrez ce que j’aurais dû comprendre depuis longtemps : que le bois est fait de « coins », c’est-à-dire de territoires aux frontières bien précises et délimitées qui, comme tous les territoires bordés, sont potentiellement ennemis, au moins dédaigneux les uns envers les autres. Je saurais plus tard que ces contrées se regardent en chien.nes de faïence, et sont censées ne point s’interpénétrer. Officiellement du moins. Car j’apprendrais aussi qu’existent des passerelles. Des tunnels secrets qu’empruntent contrebandiers, imposteurs, serre-files, contre-espions, vauriens, sauriens et autres faux-saulniers, sans parler des myopes, des grands distraits et des grands imbéciles, bourgeois surtout, sur lesquels il importera de revenir.

A suivre