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Arrivée au bois (Habitation du bois, 1)

Arrivée au bois

J’habite le bois de Vincennes depuis le 21 juin 2015. Ce jour-là, je suis arrivé de Marseille avec Miya, ma petite fille de 3 ans. Nous avons emménagé dans le studio situé au 1er étage du Théâtre de l’Aquarium. Un studio agréable, car déjà très habité : de nombreux invités de passage s’y succèdent et particulièrement, chaque année, des écrivains d’Afrique qui y demeurent en résidence d’écriture pendant plusieurs semaines. Le studio est empli des souvenirs de ces passages, comme si chacun s’entendait à laisser une trace pour ceux qui viendront après. Une bibliothèque pleine de surprises, des objets, des dessins ou sculptures, programmes de théâtre, brochures de travail… Mon cadre préféré vient du Bénin. C’est une enseigne de coiffeur en miniature, représentant de « magnifiques tresses du Bénin » sur fond rose. Au mur deux tableaux de Liseran, leur silence énigmatique évoque Magritte. Un escalier étroit, presque une échelle, mène à la mezzanine où se trouve le lit.

Mais ce qui est terriblement excitant dans ce studio, c’est qu’il fait partie intégrante du théâtre. De sa porte, encore quelques marches et vous arrivez directement dans la cabine de régie de la Petite salle. Quand un spectacle joue vous entendez les éclats de voix des acteurs et instinctivement vous marchez sur la pointe des pieds, jusqu’au moment où vous entendrez les applaudissements.

Et la nuit, quand le théâtre dort, vous êtes un veilleur de nuit : vous pouvez parcourir tout le bâtiment, le hall plongé dans l’ombre, les bureaux, la cuisine, et bien sûr, les deux salles, leurs plateaux enténébrés. Les ampoules des sorties de secours servent de veilleuses.

Je suis ici à l’instigation de La Revue Eclair, associée au Théâtre de l’Aquarium de 2014 à 2017, qui y mène entre autres le projet Les Habitants du bois.Mon habitation succède à celle de Johnny Lebigot et durera ces 3 mois de l’été 2015, du 21 juin au 21 septembre.

J’ai choisi de consacrer ce temps à la réalisation d’un projet qui me tenait à cœur mais que j’avais différé jusque ici : composer un hommage musical aux travestis que j’ai connu dès mon adolescence au bois de Boulogne.

Sur les travestis, et sur les rencontres qui m’ont liées à eux, je préfère ne pas en dire plus pour l’instant. Seulement que j’ai un souci de précision, de vérité, autant que possible de franchise par rapport à ces amis travestis. C’est le minimum que je leur doive, question d’honnêteté artistique et politique — ces deux dimensions étant pour moi indissociables, d’autant plus concernant ces amis-là, souvent stigmatisés ou accablés de clichés complaisants. Et souvent disparus, sida et exclusions de toutes sortes aidant. Pour toutes ces raisons et surtout pour eux, je me suis proposé de composer une œuvre intitulée « drag requiem ».

Ce qui m’amène au bois de Vincennes est donc de fil en aiguille relié au bois de Boulogne ; la parenté des deux bois existe, mais aussi leurs différences enracinées dans l’histoire. Ce sont parentés et différences que je vais évoquer à travers la sorte de chronique publiée sur ce blog au fil de mon habitation.

Pour habiter le bois aujourd’hui, je dois laisser libre cours à des souvenirs, évocations, divagations et pensées qui mènent aux travestis, à la sexualité des bois telle que je l’ai aperçue, et aux formes de vie que les travestis m’ont fait connaître. Formes de vie qui sont leur création extraordinaire à chacun.

J’espère vous faire partager ces rencontres. On ne peut s’engager dans les bois sans que cela soit une immersion. Peut-être un retour du temps sur lui-même. Vers l’enfance ? Une sorte de vacance envers soi-même ? Parfois, le départ pour un vol de nuit.

 

PS : les textes ci-dessous se terminent tous par la mention « A suivre ». Cela ne signifie pas qu’ils se suivent logiquement les uns les autres, mais que chacun ouvre une piste qui devrait se poursuivre ultérieurement : soit immédiatement après, soit dans un plus tard indéterminé.