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Un voyage d'hiver, presse

Articles de presse consacrés à Un voyage d'hiver de Corine Miret et Stéphane Olry à l'occasion de sa création à La Comédie de Béthune en décembre 2008 et  de sa reprise à l'Echangeur en janvier 2009 puis au Théâtre Paris-Villette en février 2010

 

Libération

Théâtre 17 déc. 6h51
Du nord en barre
Théâtre. Représentation à Béthune après imprégnation.
Un voyage d’hiver de Corine Miret et Stéphane Olry à la Comédie de Béthune (62). Ce soir à 20h30 et demain à 19h30. Rens.: 03 21 63 29 19. Et du 8 au 31 janvier à l’Echangeur de Bagnolet (93).

«Et si je devenais étrangère?» Il y a un an, Corine Miret s’exilait en terre du nord. Invités à «faire quelque chose avec le territoire» par Thierry Roisin, qui dirige la Comédie de Béthune depuis trois ans, la jeune femme et son complice de la Revue éclair, Stéphane Olry, ont d’emblée posé les règles. La danseuse comédienne a séjourné sept semaines à Richebourg, campagne reculée du Pas-de-Calais que les locaux nomment «le bas pays d’Artois», où elle ne connaît personne. Coupée de ses attaches parisiennes, elle s’est employée à rencontrer des gens du cru au détour des soirées loto, défilé de majorettes, à la mairie, au café, à la supérette… Avec, pour seul contact extérieur, un coup de fil hebdomadaire à Stéphane Olry pour rendre compte de ses aventures.

Enquête.Au terme de ladite période, elle conviait à une fête toutes les personnes rencontrées pour leur révéler l’objet de sa mission: monter un spectacle à partir de son expérience. Ecrit dans la foulée de son retour, Un voyage d’hiver opère un juste retour des choses. Ceux qui connaissent la démarche du duo de la Revue éclair y retrouveront ce goût de l’enquête et de la méthode, le mélange de réel et de fiction, cette retenue dans l’écriture et cette sobriété dans la mise en scène qui font tout le charme de spectacles à nul autre comparables. Mais là où les précédents reposaient plutôt sur un travail d’archives, même si la question de l’intime était déjà centrale, Un voyage d’hiver marque un engagement nouveau de l’interprète, dont le vécu récent devient la matière même de l’écriture.

Dans ce sens, Treize semaines de vertu créé l’an passé au château de la Roche-Guyon - où Olry rendait compte de son programme de vie selon la méthode imaginée par Benjamin Franklin pour devenir vertueux - avait déjà ouvert la voie. Et puisqu’il s’agit de territoire, c’est d’abord l’espace (signé ici Thomas Walgrave) qui se construit sous nos yeux à coups de parallélépipèdes de feutrine, d’un vert plus ou moins clair, imposant sa géométrie de vue du dessus. Postée tel le géant de Gulliver au milieu de ce paysage en construction, Miret irradie d’émotion. Disponible ainsi qu’elle le fut durant sept semaines, comme traversée de part en part par la rumeur du monde, mais aussi par les résurgences de son enfance à Pithiviers, dans les plaines agricoles de la Beauce. Immobile, alors que tout bouge autour d’elle. Habitée.

Effleurement. Est-ce parce que ce Voyage d’hiver évoque celui de Schubert? D’emblée, ce spectacle ténu chemine du côté du chant et de la poésie. Les deux auteurs ont écarté tout réalisme, faisant le juste choix de ne rien incarner. Pas de personnages parmi les sept interprètes réunis sur le plateau, mais des allégories: le gardien, la terre, l’amour ou la fée du logis, celle-là même qui, dans un geste lent et continu, déroule champs et routes et dispose les maisons autour du clocher. Il y a aussi l’auteur, qui introduit l’histoire et veille ensuite en lisière de plateau. Et le compositeur (Jean-Christophe Marti), qui intervient pour régler l’orchestration chorale et présenter par bribes ce à quoi ressemblera son œuvre future, laissant planer le doute sur la réalité de la partition. C’est cette dramaturgie de l’effleurement qui mène le voyage à bon port et confère à cette aventure, à deux heures de Paris, la mystérieuse aura d’une exploration en terra incognita.

MAÏA BOUTEILLET


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L'Avenir de l'artois
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Comédie de Béthune
Corine Miret et son voyage en hiver

jeudi 18.12.2008, 14:00

Corine Miret n'avait, a priori, aucune raison d'aller vivre sept semaines dans le Béthunois, à Richebourg, seule. Cette comédienne et danseuse parisienne, âgée de 45 ans, en a pourtant trouvé une bonne, de raison : répondre à l'invitation de Thierry Roisin, directeur de la Comédie de Béthune.

Il lui a proposé, ainsi qu'à Stéphane Orly, avec qui elle compose la Revue éclair, d'imaginer un spectacle en lien avec le territoire. La Revue éclair travaille souvent à partir d'archives et d'interviews. Ils ont voulu créer quelque chose de neuf pour répondre à la demande de Thierry Roisin. « On s'est baladés pendant deux jours sur un territoire qu'on ne connaissait pas, on se demandait ce qu'on allait faire. La patronne d'une mercerie m'a demandé d'où je venais, et quand je lui ai dit que je venais de Paris, elle m'a fait le récit de toutes les personnes qui étaient entrées dans sa boutique et qui venaient d'ailleurs. Et Stéphane, justement, voulait travailler sur ces frontières invisibles... C'est comme ça qu'est venue l'idée. J'ai dit à Stéphane : je pars seule pour voir ce que ça fait d'être dans un endroit qu'on ne connaît pas. » Plusieurs règles ont été mises en place : il fallait que cela ne dure pas toute une saison mais que ça soit plus long que des vacances (sept semaines, en l'occurrence, aux mois de février et de mars), il fallait rencontrer des gens, aller dans tous les lieux publics, et, qu'à la fin du séjour, elle réunisse les personnes rencontrées pour un repas pendant lequel elle leur expliquerait la démarche. Corine Miret avait envie d'observer ce « décalage » : « Quand on change d'endroit, on change de point de vue. Je voulais aller dans un endroit où on n'avait pas besoin d'être. On ne savait pas où on allait, il fallait être disponible à tout ce qui pouvait arriver, sans a priori ». Officiellement, racontera-t-elle aux personnes rencontrées au cours de son séjour, elle « réfléchit à une prochaine pièce ». Elle travaillera aussi avec tous ses sens, pour aller encore plus loin dans la démarche.

Une expérience « jouissive »
Installée dans un gîte de Richebourg, elle va aller au club de randonnée, essayer le viet vo dao, lire la presse locale, suivre des audiences au tribunal de Béthune, aller au gala de majorettes ou de catch... « Je me suis rendu compte que j'étais observée plus que je n'observais », note la comédienne. Pendant tout ce temps, elle se retrouve en osmose avec la nature, elle qui est née dans la Beauce. « Beaucoup de souvenirs d'enfance sont remontés à la surface », se souvient-elle. Ces sept semaines ont filé, et, quand il a été question de rentrer à Paris, Corine Miret a presque failli laisser ses valises à Richebourg. « C'était jouissif. Je n'avais pas à me préoccuper du futur, je n'avais rien d'autre à faire que d'être là. On n'est vraiment dans l'extra-ordinaire. J'ai plané pendant sept semaines. On touche du doigt le fantasme de tout quitter. À un moment ou à un autre, on a le vertige de se dire qu'on pourrait rester, rien ne m'a manqué. » Avant le dur retour à Paris, elle organise une grande fête avec 31 invités, qui découvrent alors la vérité. Pendant son séjour, sur son dictaphone, la comédienne a enregistré ses impressions et raconté son quotidien, « au final très ordinaire ». Elle a envoyé le tout à Stéphane Orly, qui utilise cette matière pour écrire la pièce. « L'idée, ce n'était pas de faire un documentaire.
Je l'ai vécu, je l'ai raconté à Stéphane qui va le transmettre aux spectateurs, cela fait plusieurs filtres, ça s'éloigne du réel, on est plus dans la semi-fiction. » Le temps de l'écriture a duré longtemps, jusqu'à la dernière minute, à cela s'ajoute de la musique (que le compositeur ne dit pas encore achevée), des choeurs... Ne cherchez pas des figures locales stéréotypées dans le spectacle de Corine Miret et de Stéphane Orly. Si la comédienne joue son propre rôle, elle sera sur scène avec l'Auteur, le Compositeur, deux allégories (l'Amour et la Terre), et la Fée du logis et le Gardien.
« J'ai aimé ces gens, je les aime toujours. » Pas de condescendance chez Corine Minet, qui, le soir de la première, a retrouvé dans le public quelques-uns de ces amis rencontrés cet hiver. La dernière surprise de ce voyage ?

Critique :
Franchir les frontières

Sur le plateau, un petit bout de feutre vert, Corine Miret, la Comédienne s’y plante, les poings serrés, le visage fermé. Autour d’elle, le Compositeur (Jean-Christophe Marti), qui expliquera sa démarche durant tout le spectacle, tout comme l’Auteur (Stéphane Olry). Trois autres figures : l’Amour (Didier petit, également violoncelliste), la Terre (Sandrine Buring), la Fée du logis (Elena de Renzio) et le Gardien (Hubertus Biermann). Ces deux derniers ont été créés à partir de plusieurs personnes réellement rencontrées par la comédienne au cours de son séjour, et ce sont deux comédiens aux accents étrangers qui les interprètent. Un petit indice de la volonté de l’auteur de franchir les frontières…
De son arrivée jusqu’à la fête de départ pendant laquelle elle révèle son projet, celui d’écrire une pièce à partir des sept semaines passéesdans ce gîte de Richebourg, le récit du quotidient de la comédienne nous est livré par petites touches à la fois très intimes et pleines de pudeur. Petit à petit, sur la scène, un univers se crée, un territoire, des maisons sont posées sur des étendues vertes, des routes sont tracées… comme une photo satellite en trois dimensions, mais aussi comme un terrain de jeu pour la comédienne. Elle s’installe au fur et à meusre de son séjour dans le territoire, y prend pied, son corps sec s’épanouit au con tact de la Terre et le récit de son histoire à Richebourg devient celui d’un voyage intérieur. On sent, pendant toute la pièce, que les émotions que Corine Miret a ressenties durant ces sept semaines dans le Béthunois ne sont pas feintes. Le spectateur profite d’un joli voyage et découvre l’autre visage d’un territoire trop souvent et bêtement sujet aux clichés.


Dorothée CARATINI

 

Rue89
(http://www.rue89.com)
« Un voyage d'hiver », l'étrangère en pays d'Artois
Par Jean-Pierre Thibaudat

Créé 01/13/2009 - 17:18

Elle est au centre du plateau, debout sur un îlot de moquette, elle n’en bougera pas ou presque. Tout est parti d’elle, de cette femme qui un jour dans un café a dit "Et si je devenais étrangère?" Et qui l’est devenue, sept semaines durant.

Seule sept semaines

C’était dans un café de Béthune. Thierry Roisin, homme de goût et directeur de la Comédie de Béthune, venait de proposer à Corine Miret et Stéphane Olry de travailler à partir de matériaux collectés dans les village alentour. Proposition judicieuse puisqu’au sein de la compagnie "La revue éclair", Olry et Miret, depuis plus de dix ans, sont passés maîtres en la matière. Une année, ils font un spectacle autour de cartes postales vidéo, une autre ils écoutent les supporters de foot des Verts (Saint-Etienne).

Dans le café, ils se demandent ce qu’ils vont pouvoir faire. C’est alors que Corine dit étrangement qu’elle veut devenir étrangère. L’intuition juste devient un projet: vivre seule sept semaines durant dans une petite commune du nord, aller à la rencontre des gens et plus tard, des récits qu’elle en rapportera, Stéphane écrira un spectacle. Ils trouveront le titre, emprunté à Schubert qui lui même l’avait emprunté au poète Wilhem Müller: "Voyage d’hiver"

Les confessions d'un dictaphone


Ce scénario, Stéphane Olry l’explique aux spectateurs en se présentant comme l’auteur (c’est son rôle). Mais il va plus loin, il dit que Corine et lui ont vécu quatorze ans ensemble, qu’ils sont séparés depuis deux ans, qu’ils ont divorcés au moment où Thierry Roisin leur faisait cette proposition. On comprend que tout s’est à peu près bien passé, qu’ils continuent à faire des spectacles ensemble, la preuve. L’auteur nous explique maintenant que Corinne lui envoyait régulièrement les cassettes d’un dictaphone sur lequel elle enregistrait ce qu’elle avait fait de ses journées et de ses nuits.

Poussant plus avant le bouchon de l’intimité dévoilée, il nous raconte que sur l’une de ces cassettes, envoyée "peut-être par erreur", Corine relatait une nuit d’amour dans un Algéco avec "la reine du carnaval" -le Nord est la patrie des carnavals. Mais nous ne sommes pas chez Christine Angot and Co, on ne saura rien des détails de cette nuit que, sans un mot, Corine Miret évoquera magnifiquement dans une danse d’amour improvisée avec un violoncelle. Une idée de Stéphane Olry peut-être, on ne sait, leur histoire et leurs spectacles sont faits d’entrelacements.

Bon pied bon œil

Durant son séjour, "la parisienne" ayant une Fiat Uno immatriculée dans le Loiret, va rencontrer une trentaine de personnes. Dans l’écriture du spectacle, Olry condense cela en trois figures. Le "gardien" (Hubertus Biermann), celui de la salle polyvalente qui accueillait chaque jour "la parisienne" avec un poème (d’amour) -Corine Miret avait obtenu de la mairie le droit de l’utiliser entre midi et deux, pour y danser (c’est son métier) peut-être. Mais elle n’osera pas proposer de donner des cours de danse aux enfants du village. En revanche elle s’inscrit dans une association de marcheurs ("Bon pied bon œil"), à un cours d’art martiaux, va au bistrot, boit des bières, fait ses courses au supermarché voisin, assiste à un match de foot au stade de Lens, achète "La Voix du Nord".

On l’épie, on la regarde, on se demande ce qu’elle fait là, mais on l’accueille, les gens du Nord sont accueillants, ce spectacle le dit bien plus délicatement qu’un film à succès. Toutes ces voix du village, Olry les rassemble en une, celle de "la fée du logis" interprétée avec force par Elena Renzio. Le troisième personnage censé représenter la terre du Nord est moins évident.

Au terme des sept semaines, Corine Miret réunira les trente pour une fête dans le gîte où elle habite et leur fera l’aveu du pourquoi de son séjour. Personne ne lui en tiendra rigueur, au contraire, tous souhaiteront venir voir le spectacle.

Le ballet des petits poings serrés

A travers le Nord (ses prunus sous la neige, ses parkings la nuit, ses chemins qui ne mènent nulle part), c’est d’abord d’elle que parle Corine Miret, la fille de Pithiviers. Et c’est comme un piédestal que lui compose son ex compagnon et toujours complice Stéphane Olry. Ce qui avait commencé comme un jeu dans un café, une phrase lancée en l’air, est devenu un temps fort de sa vie. On le devine, ces sept semaines (chiffre sacré) l’on bouleversée. Et, c’est par le filtre pudique du jeu théâtral qu’elle nous en fait la confession, offerte et retenue à la fois. Buste immobile, elle organise le ballet des ses petits poings serrés, ou soudain se déploie. Assis sur une chaise, l’auteur la regarde. Corine Miret est devenue étrangère à ce qu’elle était, et Stéphane Olry, lui qui la connaît si bien, met en scène avec une infinie tendresse une femme qui est peut-être en train de lui devenir un peu étrangère.

Retournera-t-elle dans le Nord?

Le charme de ce spectacle vient enfin du fait qu’il est constamment déroutant –comme on déroute des véhicules parce que la chaussée soudain vient de s’affaisser. Au moment de se faire, il se défait. Ainsi le compositeur de la musique du spectacle Jean-Christophe Marti. Il s’adresse plusieurs fois au public durant la représentation, dit qu’il est en train de composer la musique du spectacle, parle du futur chœur des trente personnes rencontrées par Corine. Il finit par apporter une partition, la lit avec force gestes mais la musique reste dans sa tête.

Finira-t-il un jour de l’écrire? Corine Miret retournera-t-elle dans le Nord? Ce sont moins des questions que des rêveries que nous offre ce spectacle rêveur. D’ailleurs, l’auteur commence par nous raconter un rêve qu’il fait chaque nuit. Et le spectacle une fois de plus s’enroule sur lui-même pour mieux nous emporter dans le tournis de ses miroitements.

 

Marie-Mai Corbel (Mouvement)

Lettre à Corine Miret et Stéphane Olry

Bonjour à tous deux,

je vous écris pour vous dire que je trouve pas de mots pour témoigner de votre délicatesse et de toute la précieuse intelligence que j'ai senti courir comme un feu follet hier soir pour ce Voyage d'hiver.
j'ai été très sensible à ce rapport à la visite et au voyage, à complet contre-courant de ce qui se fait en ce domaine (du carnet de voyage au diaporama en passant par le montage vidéo et l'interview documentaire).
Mille choses fusaient, passaient, laissant cependant par leur modestie toute la place à celle qu'on est réputé avoir lorsqu'on est à celle dite du spectateur et qui est bien des plus modestes elle-même (enfin,dans son principe, parce que dans son application, il arrive que certains ne le supportent pas et cherchent à inverser les positions en se faisant rois et arbitres de l'esthétique).
L'Artois me fait immédiatement penser aux comtes d'Artois et à leurs querelles avec les rois de France, puis au Brabant et à la lanterne magique du petit Marcel P. enfin par là, au moyen-âge, c'est-à-dire au roman naissant sous forme de cycles initiatiques. La quête spirituelle, le chemin vers la lumière au milieu du chaos, tout cela était sous-dit dans ce voyage hivernal en Artois et tout cela est comme toujours actuel, car intemporel. Il y avait d'ailleurs le carnaval et puis ces figures étranges de la reine androgyne aux yeux verts, qui ne devait pas être d'ici non plus, le clown Polnareff, la farandole des amis ou la chanson de leurs prénoms, une fée même dite du logis et bien d'autres signes du merveilleux...
J'ai vu dans l'étrangère, dans la Mélusine ainsi est-elle discrètement appelée à un moment, la visiteuse, la mort peut-être, en une danseuse Apsaras, magnifique moment de la danse de l'amour, explosion brève de la lave symbolique qui comme un ectoderme purigineux qui ferait le soubassement de la terre artésienne,
un moment, peut-être le clou d'un anti-spectacle peut-être, un graal, ou jaillir la source du feu qui fait ceux qu'on appelle les artistes et qu'on trouve de plus en plus étrangers à ce monde...
Quelques mots encore. La visiteuse qui s'installe dans ce patelin tout en sachant clairement ce qu'elle y vient chercher - la matière d'une création à la Comédie de Béthune - n'est pas en ce pays autrement qu'une actrice. Elle dit qu'elle choisit avec soin ses costumes en fonction des gens à rencontrer et dont elle cherche à obtenir d'entrer en contact. Question de peau, de terre, de surface sensible aussi, là, en jeu. Elle leur fait du théâtre, en vérité, elle leur joue la légende de Mélusine ou de l'étrangère, et bien sûr, ça ne manque pas, le prince se présente. Tout cela pour faire tomber les masques, tous les masques lors d'une fête où sans doute la rencontre se parfait. Une fête où sans doute les gens du coin ont trouvé leur bonheur dans cette rencontre d'une étrangère qu'ils avaient pris au fond pour moindrement étrangère. Pensez donc, une artiste ! une danseuse contemporaine ! dit comme ça, ils n'auraient peut-être pas été aussi ouverts, mais là, l'étrangère, la mystérieuse, ça leur plaisait. Alors donc ça prouve qu'ils ne sont pas aussi fermés que cela, qu'il leur faut un peu de mystère, c'est tout...

Alors les spectateurs du récit de cette légende de masques tombés et de rencontre au carnaval, sentent que, pour eux aussi, le masque a été ôté. Une certaine improvisation, a dit l'Auteur, d'entrée de jeu. Le théâtre est là, dans le dévoilement, de ce qui ne sera pas dévoilé, car la visiteuse le précise, il n'est pas question pour elle de mettre sur l'étal son vécu. L'inconnu. Ici, tout n'est pas dit, et ce qui est dit l'est dans une intention, celle de nous évoquer ce que cela peut faire de rencontrer, de vivre et de connaître ces choses qui finalement une fois vécues, rendent vital leur secret, ou non-diffusion. Ça devient impossible de parler de l'amour quand on aime...
C'est bien de la rencontre que le théâtre propose aux spectateurs dont il est sujet, incidemment, au passage, délicatement, pour ne pas venir à nous avec de bon gros sabots...
Comme ces citations discrètes qui émaillent ici et là le texte, dont j'en ai reconnue deux au moins, Sade et Baudelaire, qui vont si bien ensemble en Artois... citations qui sous-disent qu'ici, tout n'est pas dit, même les noms même les secrets d'auteurs... .
Merci, merci, merci...
J'aurais bien voulu écrire un texte pour la revue qui est la mienne, Mouvement, et qui a un site internet - pas tant pour sonner les trompettes, que pour faire présent de mes mots, piètre présent peut-être, mais cela n'est pas de toute façon pas possible. Je ne vous raconterais pas pourquoi, pas ici, pour ne pas vous plonger dans un fatras de bêtises en chaîne et aller me plaindre de ce dont je suis déjà bien contente, de pouvoir parfois écrire... tout de même.
Mais merci, merci, merci, dans cette nuit où j'erre, ces petites lumières que vous allumez dans de pauvres foyers sont des instants... bénis !

mari-mai Corbel, janvier 2009

 


Patrick Sourd
Les Inrockuptibles numéro 689 / 10 février 2009

Un Voyage d'hiver de et avec Corine Miret et Stéphane Olry
Avec Hubertus Biermann, Elena de Renzio, Sandrine Buring, Didier Petit, Jean-Christophe Marti
Au Théâtre de l'Echangeur à Bagnolet

Version sensible des fameux "adieux à la scène" : un couple d'artistes se sépare et en fait la matière d'un spectacle.
"Et si je devenais une étrangère?", avait lâché Corine Miret un soir de septembre. Une première pierre jetée dans la mare, et l'invention d'un scénario prétexte à un travail de deuil actant de sa séparation avec son partenaire, Stéphane Olry. Depuis  quatorze ans, ils formaient un couple, à la scène comme à la ville. Au moment où leurs destins divergent, ces tenants d'un théâtre fondé sur la mémoire et l'intime ne pouvaient éviter l'exercice d'autofiction mettant en scène une liberté des corps souvent plus facile à retrouver que celle des âmes. À l'échelle du petit monde de la scène, un tel sujet peut sembler aussi exhibitionniste que choquant, et rappeler les effets d'annonce voyeuristes à travers lesquels les magazines people font leur beurre. Dès les premières répliques, on apprend qu'ils sont déjà séparés depuis deux ans, et qu'à la veille de ce projet joliment nommé Un Voyage d'hiver ils prennent connaissance devant un juge des modalités de leur désunion. Mais, via ce réapprentissage de la solitude, le contrat artistique qui les lie vise à d'autres réponses, celles apaisées de la justice du cœur. Et tandis qu'elle s'immerge pour sept semaines en apnée dans un village du Nord, lui, resté à Paris, transforme le journal de ses aventures en une délicate fiction. Pendant aussi nostalgique que cruel à l'effervescence romantique d'un voyage de noces, le récit de ce "voyage de divorce" met chacun au pied de son mur avec une telle pudeur qu'on est tenté d'y lire l'ultime épreuve que s'imposent d'indécrottables amants, aussi incapables d'être encore ensemble que d'accepter de voir la vie les séparer. Et c'est tout le bonheur de cette chronique reconstituée en musique et avec cinq acteurs que d'user du vocabulaire de l'amour pour tenter de se dire adieu sans être sûr d'y parvenir vraiment


   

Emmanuelle Bouchez  - Télérama.fr- 4 février 2010

Son cœur en hiver

Le journal intime d’une femme qui a décidé de “devenir étrangère” en s’exilant dans un village de l’Artois. “Un voyage d’hiver”, spectacle fragile et pertinent signé Corine Miret et Stéphane Olry, est programmé par Le Théâtre Paris-Villette. Jusqu'au 16 février seulement.

Elle est docteur en pharmacie, danseuse et comédienne. Lui est auteur, comédien et metteur en scène. Ils forment un duo d'artistes qui, depuis une bonne dizaine d'années, invente de drôles d'aventures, entre lecture et intervention théâtrale. Leur genre de prédilection ? La conférence-spectacle, fondatrice d'ailleurs de leur parcours : on se souvient encore de leur performance drôlissime à partir de cartes postales et de toutes les tranches de vie qui s'y expriment (Nous avons fait un bon voyage mais… en 1999). Olry et Miret savent rendre sensible l'éphémère du quotidien.

Cette fois, ils ont poussé le bouchon plus loin encore : ils se sont séparés. Lui est resté à Paris, elle est partie en Artois, sur une terre inconnue. « Et si je devenais étrangère ? » était le pari un peu fou, lancé sur un coup de tête. Pendant sept semaines, elle vivrait dans un village où elle ne connaîtrait personne. Elle lui raconterait tous les trois jours, par dictaphone interposé, sensations et états d'âme, rencontres et paysages. Lui réécrirait à distance l'expérience…

A l'arrivée, leur spectacle est formidable : incroyablement fragile et subtilement pertinent. Corine Miret est droite et solitaire au milieu du plateau, poings serrés. Elle raconte et refait le chemin en déroulant des rouleaux de moquette verte. Elle finira par se retrouver au milieu du plan du village artésien, maisonnettes et rangées d'arbres compris. Une danseuse, un violoncelliste et un improvisateur sonore (Hubertus Biermann) ponctuent son récit en forme de journal intime. De cours d'arts martiaux au carnaval, de papotages avec l'épicière aux visites quotidiennes à la salle polyvalente, tout est bon pour aller à la rencontre de l'autre. Et s'interroger sur ses propres liens affectifs, se détacher de l'être aimé tout en croyant encore aux relations humaines. A la fin, on aura sous les yeux la carte du pays, physique autant que sociale. Et puis la géographie des sentiments dont une femme seule est le pivot : liens d'amitié tissés sept semaines durant, liens défaits, possibles liens à inventer…

Un voyage d'hiver, créé l'année dernière, tourne trop peu encore et c'est incompréhensible. Le Théâtre Paris-Villette l'accueille pour deux semaines (qu'il en soit félicité…). Courez-y !

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Le 4 février 2010 à 17h30